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Le blog de André Trillard

Conférence de presse sur la Maritimisation

 

Mon intervention lors de la conférence de presse de présentation du rapport d’information portant sur « La maritimisation : La France face à la nouvelle géopolitique des océans », le 17 juillet dernier.

 

Où se situe la France dans cette nouvelle géopolitique des océans ?

 

Premier constat : La France a des atouts.

1) Comme vous le savez, nous disposons du deuxième domaine maritime mondial, avec 11 millions de km2, grâce à nos territoires d’outre mer. Ce domaine regorge de ressources naturelles, il est encore peu exploré, peu exploité, ni valorisé, et parfois mal délimité. Mais nous savons d’ores et déjà qu’à partir de 2019, la Guyane devrait produire du pétrole peut être à hauteur de 200.000 barils par jour. Les premières explorations à Wallis et Futuna semblent indiquer la présence de terres rares, ces métaux stratégiques essentiels aux nouvelles technologies. Nos zones économiques exclusives dans les zones tropicales apparaissent par ailleurs comme des champs d’expérimentation particulièrement adaptés pour les énergies marines renouvelables qui sont une filière industrielle d’avenir pour laquelle nous avons des champions nationaux.

La Francea, dans cette compétition internationale, une carte à jouer, une carte à défendre et pas seulement en raison de ce territoire maritime qui pourrait, par ailleurs, bientôt s’accroître d’un million de km2.

 

2) Ce contexte est également favorable parce que la France dispose d’une tradition maritime ancienne et d’une industrie civile et militaire navale particulièrement compétitive. Nous avons dans le domaine de la construction navale, du transport, de l’exploration maritime, des services, des entreprises qui sont parmi les leaders mondiaux.

La multiplication des activités en mer, des plateformes off-shore, pétrolières ou minières, la montée en puissance des marines des pays émergents sont autant de nouveaux marchés pour nos industries et donc pour la croissance dont nous avons tant besoin pour redresser le pays.

Avec ses territoires d’outre-mer, la France dispose enfin d’un atout stratégique important qui lui assure une présence sur les trois océans. Grâce à ses appuis, et à une marine océanique de premier plan, la France est une puissance maritime reconnue.

 

3) La France a des atouts, mais aussi des handicaps, des voies d’approvisionnements vulnérables qui traversent un arc de crise, des infrastructures portuaires inadaptées, qui empêchent la France de devenir la porte d’entrée maritime de l’Europe que la géographie lui permettrait d’être. Comme chacun sait, le premier port de France est Anvers.

4) Dernières caractéristiques : la France dispose d’un espace maritime qui avant tout est celui des territoires d’outre-mer. Autrement dit l’avenir de ce domaine maritime dépendra de la qualité des relations entre la métropole et ces territoires pour lesquels la valorisation et la sécurisation des activités maritimes sont des défis majeurs.

 

Deuxième constat : Pour sécuriser ces activités et peser sur les équilibres internationaux, la France dispose d’une marine, dont le format étriqué lui permet de plus en plus difficilement de concilier l’ensemble de ses missions.

 

1) Il est vrai que la France possède une marine de haute mer à large spectre et une organisation de l’action de l’état en mer efficace. L’année 2011 pendant laquelle elle a multiplié les missions, dont la Libye et la côte d’Ivoire, a illustré ses performances.

Avec un porte-avions et son groupe aérien embarqué, quatre bâtiments amphibies dont trois BPC, 18 frégates dont six de surveillance, 18 patrouilleurs, une force de guerre des mines, des sous-marins nucléaires d’attaque ou lanceur d’engins et une aéronautique navale complète, la Marine française a jusqu’à présent porté haut la voix de la France. Elle a défendu ses intérêts et son influence grâce à une grande maîtrise de ses outils et un niveau opérationnel très élevé. Et, je veux ici saluer le dévouement et la qualité de nos marins.

 

2) Mais, avec un format en nette diminution depuis 2000, des renouvellements repoussés d’année en année, la marine fait aujourd’hui le grand écart.

La Francesouhaite tout à la fois, disposer d’une marine de guerre porteuse de la dissuasion nucléaire et capable d’entrer en premier sur un théâtre d’opérations avec un groupement aéronaval et d’une marine capable de sécuriser l’ensemble de ces zones économiques exclusives, et de pouvoir comprendre, prévenir, protéger, projeter, voire intervenir sur l’ensemble des océans de la planète.

 

Dans la réalité, force est de reconnaître qu’elle n’y arrive plus tout à fait et qu’elle y arrivera de moins en moins.

Car si la guerre en Libye a démontré la cohérence des choix capacitaires, les performances de nos armées, elle a aussi révélé nos limites. Nous avions à affronter un ennemi dont la capacité de nuisance était somme toute limitée. Cela serait très différent si, par malheur, il nous fallait intervenir en Syrie ou en Iran. Et pourtant nous n’avons pu mener nos missions au sein de la coalition en Libye qu’en passant à la trappe certaines missions permanentes, en détournant un SNA ou en annulant des opérations contre les narcotrafiquants.

Nous avons regardé de près les chiffres, l’âge des bâtiments, les taux de disponibilité, vous trouverez tout cela dans le rapport, je ne vais pas ici vous assommer de chiffres.

J’en prends un seul, si l'on considère les retraits temporaires de capacités, sur la période 2000-2012, le nombre de frégates a été diminué de 43 %. C’est d’autant plus important que les frégates sont la colonne vertébrale de notre marine.

Prenons un deuxième exemple, le renoncement à un deuxième porte-avions. Il conduit à de nécessaires périodes d’entretien du porte-avions Charles de Gaulle. Résultat : le groupe aéronaval n’est disponible que 65% du temps.

Troisième exemple : les capacités en patrouilleurs hauturiers qui assurent la surveillance des ZEE des territoires d’outre-mer : elles  baisseront de 70 % à l’été 2016, si l’on ne trouve pas de solution d’ici là.

 

Globalement, sans renouvellement, le vieillissement de la flotte conduira dans les prochaines années à des impasses capacitaires majeures.

En effet, entre 75 et 100 % des équipements doivent être modernisés ou remplacés dans les 10 prochaines années.

 

Alors que les missions augmentent du fait de la maritimisation du monde, les moyens de la Marine sont, non seulement sous le seuil de suffisance, mais risque à budget constant de diminuer encore pour plusieurs raisons :

- 1) la flotte vieillit.

- 2) nous avons décroché de la trajectoire fixée par le format 2008

- 3) ce format avait lui-même, en 2008, sous estimé les besoins liés à cette nouvelle donne stratégique.

- 4) la maritimisation des enjeux s’accentue.

 

Quelles conséquences tirer de ces observations sur le format de la marine ?

En résumé, les missions augmentent, et les moyens de la marine diminuent. Dans ces conditions, si le budget de la défense doit naturellement apporter sa contribution à la réduction du déficit des comptes publics, une contribution homothétique de la marine conduirait à accroître encore le décalage entre les enjeux et les moyens. Vous l’aurez compris, notre conviction est que la Marine ne doit pas être la variable d’ajustement du ministère de la Défense parce le contexte naval a changé.

Plutôt que de dresser une liste des équipements à renouveler par ordre de préférence, le groupe de travail a développé dans son rapport écrit les principes directeurs qui devraient caractériser la marine de demain. Je pense notamment à la permanence, au prépositionnement en mer, à la polyvalence, à la précision, à la complémentarité et l’interopérabilité.

 

Je n’ai pas le temps de développer, ce qu’il faut préserver, c’est la cohérence de notre outil. Le président de la République l’a souligné dans sa lettre de mission à M. GUEHENNO : il y a une « cohérence à rétablir entre les missions, le format et les équipements des armées », cohérence par rapport aux principes que je viens de citer, cohérence par rapport aux menaces. On ne peut, par exemple, qu’être frappé par la dissémination des sous-marins. Aujourd’hui 40 états en possèdent, 270 sous-marins d’attaque sillonnent les profondeurs, qui sont de plus en plus peuplées et de moins en moins le monde du silence. Leur nombre ne cesse de croître. De ce fait, la modernisation de frégates de lutte anti-sous-marines est aujourd’hui une nécessité. Cohérence avec nos zones d’intérêt et nos approches maritimes, je pense à la Méditerranée qui est devenue une zone d’incertitude avec les recompositions politique qui ont suivi les printemps arabes, mais aussi à nos ZEE et à nos routes d’approvisionnements qui passe par l’océan Indien ou Ormuz.

 

J’entends déjà certains dire qu’il faut réviser nos ambitions pour les ajuster à nos moyens. Le problème, c’est que ne choisissons pas le niveau de risque et de menace auquel nous sommes confrontés. Il n’y a pas si longtemps, on évoquait volontiers, à la fin de la guerre froide, les dividendes de la paix. Le monde multipolaire se révèle beaucoup plus instable que celui de la guerre froide. La communauté nationale doit réaliser que sa sécurité et sa défense ont un coût.

Mais, ne nous voilons pas la face, nous sentons poindre un risque de déclassement de la France. Pour conjurer cette tendance, il n’y a pas trente-six voies, il nous faut créer de la richesse, retrouver de la croissance. L’économie maritime peut y contribuer. Il y a là de nouvelles filières industrielles qui peuvent être les emplois de demain. L’État peut accompagner ces filières d’avenir, mais il faut trouver la juste mesure.

 

C’est pourquoi nous estimons que cette stratégie militaire doit être accompagnée d’une stratégie industrielle de valorisation du secteur maritime et d’une stratégie diplomatique européenne en faveur d’un modèle maritime international responsable.

Soutenir l’économie maritime française, c’est

- soutenir la filière industrielle des chantiers navals dans la compétition internationale.

- développer les ressources énergétiques et minérales marines.

- définir une véritable stratégie portuaire pour favoriser l’intermodalité et la compétitivité ;

- développer une pêche et une aquaculture durables ;

- suivre et évaluer notre politique maritime ;

Vous trouverez dans le rapport le détail de ces mesures. Chacun de ces thèmes mériterait un rapport. Je voudrais vous exposer deux pistes :

- la première est de créer un commissariat aux énergies marines renouvelables qui puissent fédérer les acteurs publics et privés de ce secteur afin d’accélérer la mise en place de ces nouvelles technologies ;

- la deuxième est de renforcer les moyens en expertise du Secrétariat général à la mer et son rôle notamment dans la déclinaison du format de la fonction Garde-côtes.

De même, il nous paraît impératif de développer des coopérations internationales en faveur d’un modèle maritime international responsable.

Il nous faut approfondir la construction d’une Europe de la mer. L’Union européenne doit jouer à l'avenir un rôle croissant au sein des enceintes internationales du domaine maritime (OMI, OMC, ONU) dans le cadre d’une véritable politique maritime.

La Francedoit avoir une démarche active dans la définition de cette politique maritime européenne.

 

Une attention particulière doit être accordée à la Méditerranée qui se caractérise par une forte dépendance écologique réciproque entre les pays riverains.

Dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée ou de nouvelles structures adaptées, la France doit encourager les membres de l’Union ainsi que les institutions multilatérales concernés, à développer une stratégie marine intégrée méditerranéenne afin de faire de la Méditerranée une mer plus propre et plus sûre.

 

La Francedoit également accentuer son action dans les travaux des instances internationales ou régionales dont elle est membre au titre d’Etat riverain ou associé en tant qu’observateur et entretenir sa présence navale sur tous les océans, en appui direct de sa diplomatie. Nous avons tout à gagner à développer des coopérations régionales pour les îles éparses ou pour Clipperton.

 

Voilà, j’ai été trop long, il faudrait thème par thème décliner les problématiques zone par zone. Mais le temps qui nous est imparti est court et je voudrais laisser le temps aux questions.

 

Vous l’aurez compris la maritimisation est un enjeu majeur de l’évolution du contexte stratégique. Dans la situation budgétaire actuelle, le défi auquel sont confrontés les pouvoirs publics est de réduire les dépenses sans injurier l’avenir. C’est pourquoi, il faut bien réfléchir à la pertinence des choix que nous serons amenés à prendre dans les prochains mois en matière d’investissement et de défense, et garder à l’esprit le grand large et le « temps long ».

 

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