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Le blog de André Trillard

Intervention Sénat - Mission Immigration

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,


L’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » s’inscrivait déjà, avant les évènements tragiques du 13 novembre dernier, dans un contexte tout à fait particulier, en raison d’une crise migratoire d’une ampleur totalement inédite, puisque l’on évalue à plus de 600 000 le nombre de ceux qui ont tenté de rejoindre le continent européen depuis le début de l’année. De cet afflux, découlent les engagements pris par la France en septembre dernier d’accueillir un peu plus de 30.000 demandeurs d’asile. L’examen de ce budget se situe donc dans un contexte exceptionnel.


De fait, les rapports de nos collègues Karoutchi et Buffet n’ont pas manqué pas de saluer l’augmentation sensible des crédits de cette mission, dont il faut souligner qu’elle contraste avec la sous-évaluation chronique qui caractérisait ces crédits les années précédentes.
Mais ce projet de budget pour 2016, déjà lourdement hypothéqué par les conséquences - difficiles à évaluer précisément - des programmes de relocalisation dans le cadre desquels la France accueille des demandeurs d’asile supplémentaires , repose désormais sur des hypothèses que les conséquences de la guerre que nous livrons à l’Etat islamique rendent à mon sens totalement obsolètes, s’agissant des déplacements de population à venir et de l’arrivée prévisible en Europe de nouvelles vagues de migrants .


Ainsi par exemple l’augmentation, certes importante, des crédits consacrés à la nouvelle allocation pour demandeurs d’asile – plus 25 % – me semble tout à fait insuffisante étant donné l’afflux des nouveaux demandeurs, quand bien même le traitement de leurs demandes serait considérablement accéléré. De même, les crédits consacrés à l’hébergement d’urgence subissent une baisse de presque 12 % par rapport à 2015, qui serait justifiée, dit-on, par la création de places en CADA. Or, cette augmentation de places ne permettra pas de couvrir tous les besoins en termes d’hébergement. Il sera donc nécessaire d’orienter les demandeurs d’asile vers l’hébergement d’urgence, qui se révélera insuffisamment doté…


Une véritable dérive budgétaire en cours d’exécution semble inévitable, et je voudrais connaitre, Monsieur le Ministre la façon dont le gouvernement auquel vous appartenez entend gérer cette évolution imprévisible, qui risque de remettre fondamentalement en question vos hypothèses de départ.
Et pourtant, en dépit de ces incertitudes, en dépit des difficultés, nous devons tout faire pour que le respect du droit d’asile puisse continuer à s’exercer en France, même si le réalisme nous commande de l’appliquer de façon drastique, en recourant à chaque fois que cela est possible au régime de la protection subsidiaire ?


Mais alors, Monsieur le Ministre, ne pensez-vous pas que cette rigueur et cette générosité avec laquelle les Français et leurs élus observent leur devoir d’accueil vis-à-vis des demandeurs d’asile appelle simultanément de votre part un combat plus cohérent et énergique dans la lutte contre l’immigration irrégulière ?
Car si l’augmentation des crédits consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière est indéniable, ne craignez-vous pas que l’impact de cet effort financier se trouve réduit à néant par l’application des dispositions que vous proposez au travers d’un texte relatif aux « droits des étrangers » qui constitue au minimum un encouragement au maintien en France des immigrés clandestins, voire un de ces appels d’air dont les filières criminelles savent si bien tirer parti ?
Il y a 2 ans, un rapport de la Cour des comptes estimait qu’il fallait compter un peu plus de 13.000€ par réfugié, jusqu’à ce qu’il obtienne l’asile. Quant à ceux qui sont déboutés, il en coûterait au budget français un peu plus de 5.500 € par personne. La dépense totale pour la France s’est élevée il y a deux ans, à près de deux milliards d’euros, somme vouée à une croissance exponentielle.


Est-ce que l’effort sans précèdent et durable - ne nous leurrons pas, il ne s’agit pas de quelques années mais d’un long processus - auquel consentent les Français n’implique pas que face à l’immigration irrégulière, le gouvernement renonce définitivement à une politique laxiste dont les Français ne veulent, ni ne peuvent plus assumer le financement et les conséquences dans leur quotidien.
Plus précisément , Monsieur le Ministre, dans ce contexte nouveau, entendez-vous revenir sur le refus que vous avez opposé aux mesures que la majorité sénatoriale proposait dans le cadre de l’examen de ce texte pour améliorer l’exécution des mesures d’éloignement et lutter efficacement contre l’immigration irrégulière :
- renforcement de l’assignation à résidence,
- allongement de la durée d’interdiction de territoire,
- abaissement du délai de départ volontaire
- maintien du principe de titre de séjour annuel jusqu’à la cinquième année de résidence régulière pour garantir le contrôle de la régularité du séjour,
- restriction des conditions du regroupement familial
pour ne citer que certaines d’entre elles ….


Nous avons également demandé, sans être entendus, que le Parlement définisse annuellement notre capacité d’accueil sur des critères économiques et sociaux.
Pourquoi ?
Parce que c’est l’un des moyens de définir les bases d’une politique migratoire, qu’il est désormais urgent de construire au niveau de l’Europe, laquelle doit impérativement s’organiser face à cette crise majeure et durable, parce que structurelle autant qu’évènementielle.
En refusant de développer depuis 20 ans une vraie politique commune en matière de contrôle de l’immigration et en matière de droit d’asile , l’Europe a perdu le leadership et s’est mise sous la coupe des trafiquants, qui détiennent aujourd’hui à sa place le pouvoir décider de l’origine , du nombre et des lieux d’entrée des migrants !!!


Pour mesurer le défi qui nous attend, je rappelle simplement que le trafic des migrants représente en chiffre d’affaires le troisième trafic criminel mondial, après celui de la drogue et des armes !
Pour l’heure, l’Europe n’a ni politique migratoire commune, ni droit d’asile unifié, ni même de budget pour l’accueil. Sa seule intervention consiste à financer la lutte contre l’immigration clandestine avec Frontex et l’opération Triton. Avec l’impuissance que l’on connait…voire l’aveuglement, quand l’on reconstitue les allers - retours effectués par certains auteurs des attentats du 13 !


En 15 ans, 13 milliards d’euros y ont été consacrés par Bruxelles, soit moins d’un milliard par an sur un budget européen de 142 milliards annuel. Moins d’1%, c’est peu…
L’Europe a Schengen, dont les accords ne sont plus du tout adaptés et qu’il faut revoir, sans regret sur le passé, car, n’eût-t-elle pas institué la libre circulation entre la plupart de ses membres que l’Union Européenne n’en serait pas moins la destination privilégiée de ces migrants pour d’élémentaires raisons géographiques et matérielles.
Il est donc urgent de renforcer la coordination et les outils de sécurisation de nos frontières maritimes et terrestres, ainsi que responsabiliser les Etats où se trouvent nos frontières communes. Faute de quoi, à l’image de ce qui profile en Suède, pays pourtant réputé pour la générosité de son accueil, chacun fermera ses frontières dans l’urgence et le désordre, avec à court terme des conséquences catastrophiques.
Mais, soyons conscients également que les pays-frontières de l’UE que sont la Grèce, l’Italie, la Hongrie, tous débordés, ont moins besoin de leçons de morale que d’une aide conséquente pour créer dans l’urgence des centres d’accueil où opérer une première sélection entre candidats au statut de réfugié et migrant économique.
A terme, c’est dans les régions dites de départ – Grand Moyen-Orient et Afrique – que l’Europe devra se donner les moyens d’une politique migratoire commune.
Cela suppose notamment de s’entendre sur une liste de pays dits « sûrs », dont les ressortissants n’ont pas vocation au statut de réfugié politique ; d’unifier les législations sur le droit d’asile ; devons-nous , en ce qui nous concerne, maintenir à 10 ans la durée de l’asile politique alors que les règles européennes en fixent la durée maximum à 5 ans , renouvelable ?
d’accepter une clé de répartition des migrants décidée en commun.


Monsieur le Ministre, le premier ministre a dit la semaine dernière : « nous ne pouvons pas accueillir encore plus de réfugiés en Europe ».
Sur les intentions de la France, sur les initiatives qu’elle compte prendre au niveau européen pour mettre en place les mesures urgentes de cette politique, je souhaiterais que vous vous puissiez nous informer.


Je vous remercie.

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M
Ceci est un excellent sujet à débattre !
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